Baudelaire lui-même ne pouvait pas le rêver, ce livre numérique nouveau annoncé par un collectif d'écrivains italiens (Wu Ming) représenté récemment au Printemps du livre. Quel est le dogme fondateur? "Les histoires appartiennent à tout le monde." A supposer qu'il ne s'agisse que d'histoires, qui sera le nouvel auteur? Toi, moi, eux, nous, vous tous. La mutualisation planétaire des expériences vécues ou imaginées est enfin en marche. Car il s'agit de se débarrasser de cette autorité indue qui a été confisquée depuis des siècles par les auteurs, ceux qu'on admire, les références pour l'histoire de la pensée et de la sensibilité dans une culture, ceux par exemple que Baudelaire appelait "les Phares", soudainement ringardisés au nom du grand partage démocratique de la langue. Et peu importe que depuis la Renaissance, la culture se soit prodigieusement enrichie du dialogue et de la confrontation entre de grands esprits, des courants, des mouvements comme on continue à l'enseigner (et même, pardon pour ce mot scandaleux: des génies). Le Moyen-Age avait eu ses grandes créations anonymes -les cathédrales. Que pourront bien être -et surtout que pourront bien nous dire-les livres collectifs, synthèses proliférantes qu'on annonce? Dans cet acharnement contre l'auteur individuel, j'ai cru retrouver un écho de ce que disent parfois des élèves empressés à relayer certaines bêtises égalitaristes: "il en sait plus que moi, il m'humilie...". Effet lointain de ce que Nietzsche appelait la "morale du ressentiment" ou nouvelle transparence des esprits comme jamais aucune utopie ne l'avait anticipée? GGratet
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